[La lettre de l'Apes N° 65] Des villes aux campagnes : enjambons les frontières !

Illus Evelyne Mary

Au-delà des concurrences, des initiatives relient les villes aux campagnes en passant par le périurbain et peuvent répondre à des enjeux globaux en favorisant l’interconnaissance et le travail sur les préjugés, en développant des coopérations, en tirant partie des ressources de chacun pour le bénéfice de tous...

LIRE LE DOSSIER CI DESSOUS
Le plus de la lettre : ressources à engranger !

- Les Etats généraux pour une Société écologique du post-urbain
Parmi les organisations adhérentes : Atd quart monde, Habicoop, Amaps, Mrjc, Inpact, Relier, Terre de liens, Colibris, Unadel…

- Pour en finir avec les grandes villes – G. Faburel- Ed. Le passager clandestin

- Vers un tournant rural en France ?

- Qu’est-ce que la ruralité ? Aurait-elle disparu ? Eclairage de Nicolas Rouget, géographe

- un exemple de projet de coopération rural-urbain en agriculture durable : le projet Sesame

- Le contrat de réciprocité entre collectivités rurales et urbaines : la région de Nantes.


Lire le portrait de territoire :

Hénin-Carvin grimpe le terril de la transition !

- La bonne idée écolo : Seniors, levez le pouce ! Covoiturage solidaire sur le Plateau Picard

- Ils/elles parlent de nous : Cédric Delmotte, Vice-Président de la Communauté Urbaine d'Arras

Lecture du dossier en ligne ci-dessous

Production locale et liens rural/urbain, quesaquo ?

Quels liens entre ces deux enjeux ? Regardons la balise 3 « Agir local penser global » du texte « Agir pour la production locale ». « Chaque territoire est à la fois territoire de production et territoire d’échanges, nous dit notre Président Luc Belval. Cela signifie que chaque lieu (village, quartier…) est vivant et produit quelque chose : des biens, mais aussi du lien social, de la culture… et a intérêt à être en lien aussi avec d’autres territoires, plus ou moins éloignés (entre villes et campagnes, entre Nord et Sud), qui devraient être organisés comme des écosystèmes, complémentaires et reliés. » Comme pourraient s’allier les tenants de l’économie solidaire et des Petites et Moyennes Entreprises ancrées dans leur territoire… ? Parce qu’ils sont confrontés à des enjeux communs (économie et emplois, mais aussi déplacements, environnement, solidarités, culture, santé...), n’est-il pas ?
L’Apes anime la dynamique « Constructiv’ESS-production locale » durant 2 ans, avec des rencontres, des réflexions...

Synergies au bar...


Conversation au bar virtuel du webinaire participatif sur les coopérations villes-campagnes
- Roger : Une infusion du Pays des Sept Vallées s’il vous plaît ! (il se verse de l’eau chaude dans une tasse)
- Noémie : Pour moi, ce sera une bière de l’Artois ! (elle décapsule une bouteille consignée).
- R : Dites donc, c’est pas simple, les relations villes-campagnes…. On vient de mondes différents, tout de même, même si l’intervenant a nuancé tout ça pendant la conférence, quand il a dit que les agriculteurs ne représentent plus que 3 % de la population en rural ! Moi je suis de Fruges, et vous ?
- N. : Moi j’habite Armentières, la grande banlieue de Lille, « le péri-urbain » comme ils disent. Oui, on a beaucoup d’a priori les uns sur les autres… Depuis le confinement, de plus en plus citadins veulent s’installer en campagne, mais sur le terrain, les choses ont changé...
- R. : Et les agriculteurs voient d’un mauvais œil les écolos des villes débarquer et leur donner des leçons sur la façon de cultiver la terre. Les mentalités bougent lentement.
- N. : J’ai trouvé intéressante l’intervention sur les tensions et concurrences entre ces territoires : le bétonnage d’espaces agricoles proches de grandes villes pour la construction de logements met à mal l’autonomie alimentaire...
R. : Et en même temps, chaque territoire a des atouts complémentaires des autres et aurait tout intérêt à coopérer. Je pense aux grands espaces en rural. Et en ville, il y a une effervescence d’initiatives, c’est moins le cas chez nous !
N. : Mais ces derniers temps, en ville, on a vu refleurir les épiceries ambulantes qui sont pourtant nées dans les campagnes !
R. : Et les adeptes du numérique libre nous ont amené leurs pratiques collaboratives. A quelques-uns, on est en train de créer un espace de coworking dans l’estaminet du village. Après le boulot, on y organise des repair-cafés, des débats…
N. : Ah, c’est une sorte de tiers-lieu ? C’est ce qu’on est en train de créer dans le centre social où je suis bénévole. Ca serait intéressant d’échanger sur nos pratiques ?
R. : Tout à fait, on pourrait même mettre en place des échanges entre nos lieux ! Je vous donne ma carte, euh, mon adresse-mail, pardon. J’avais oublié que nous communiquons par chat !
N. : Ah Ah ! A votre santé !


Dialogue inspiré des propos de Nicolas Rouget, géographe, et de Luc Belval, Président de l’Apes


 

femme et enfant

Viens chez moi, j’habite « Chez ma tante »

Comment « l’engrais » d’un collectif de jeunes arrivés dans un village de l’Avesnois s’est mélé au « terreau » des habitants pour faire pousser des « arbres de liens » que nombre de gens leur envient !

Felleries : petit village de 1800 âmes. En 2018, une bande de jeunes venant (ou revenant) des grandes villes environnantes s’installe en colocation dans une maison de famille laissée par une grand-tante. On les prend d’abord pour des « zadistes ». Prônant un mode de vie autonome, ils sont plusieurs à développer des métiers artisanaux et lancent un groupement d’achats avec le voisinage. Surtout, ils ouvrent leur lieu de vie pour proposer des choses nouvelles. « Un si grand espace, ç’aurait été dommage de ne garder ça que pour nous ! » nous souffle Anne-Lise Havez, co-présidente de l’association créée sur place. Tous les mardis soirs, Chez ma tante propose une buvette à prix libres, la vente de produits artisanaux, des ateliers Do it Yourself ou encore des ateliers « bricole » à base de récup’. Qui marchent bien !

Des pratiques urbaines transplantées en milieu rural ?
Si certains membres du collectif ont été inspirés par des initiatives similaires en ville, le succès rencontré ici a d’autres causes. « Ces pratiques d’échange, de bricolage, de faire par soi-même, de circuit-court…, sont encore hyper présentes en milieu rural. C’est dans la mentalité des gens, même si tout cela se fait de manière informelle, sans forcément mettre des étiquettes là-dessus. » La première zone commerciale étant à 20 minutes de voiture, cela pousse forcément à développer d’autres modes de consommation.

En juillet 2019, la municipalité de Felleries vient chercher les jeunes pour leur proposer de relancer le marché du village, depuis longtemps disparu. Chez ma tante mobilise alors producteurs et artisans locaux et bichonne l’animation en faisant venir des artistes et en créant un vrai rendez-vous de « fête au village ».  Là encore, cela vient répondre à une véritable attente et le public adhère tout de suite.

Le lien social avant tout !
Cette même année, le collectif organise deux festivals à Felleries. Le premier propose une programmation musicale éclectique et des ateliers manuels transdisciplinaires. Le second est entièrement consacré au hip-hop et malicieusement intitulé « Ma tante en sweat capuche ». Ceux-ci drainent un public local et intergénérationnel. C’est ainsi qu’un couple de retraités du village, très éloignés du hip-hop, ont souhaité participer au festival.

« Ce qui compte ici, c’est avant tout de se retrouver, d’être ensemble, quelle que soit la proposition au fond. Le but est d’être acteur de ce qui se passe. ».
Alors, il est peut-être temps de sortir de l’opposition ville-campagne pour voir ce que chaque espace a de complémentaire. « Ce genre d’initiatives, en fait, on peut le faire partout… mais il y a des territoires où ça marche mieux que d’autres ! C’est sans doute le vivre-ensemble et le lien social existant au départ qui facilitent les choses. »
Page facebook de Chez ma tante
Magali Nayrac


 

affiche Chez ma tante
chez ma tante
Marché de Felleries organisé par "Chez ma tante"

CaLiBou and Co, le couteau suisse de la Flandre !

Qu’est-ce qu’un CaIibou ?? C’est le CAfé LIbrairie BOUlangerie de Godewaersvelde ! Le concept de café-librairie a été importé de Bretagne par Myriam et Gérard, originaires de Lille, qui se sont ensuite entendus avec Xavier, Véronique et Thibaut pour la partie boulange#*. Au delà de l'activité commerciale, leur idée est de proposer un lieu vivant de concerts, ateliers, animations sur le livre... en milieu rural pour des usagers qui s’investissent dans l'organisation de ces activités.
Dans le café, on peut aussi feuilleter un livre d’occasion pioché dans la bibliothèque parmi ceux donnés par les habitués, une manière de sensibiliser à la lecture.
Personne ne croyait à leur projet de librairie : « une librairie, c'est en ville, pas à la campagne ! ». Aujourd'hui, l'essentiel des ventes se fait dans un rayon de 20 km, et pour soutenir Calibou en période de Covid, les habitants y passent leurs commandes.
Le lieu rassemble aujourd'hui locaux et urbains qui peuvent discuter autour d’une bière au bar, acheter leur pain bio ou piocher un livre dans la sélection personnelle de Myriam.

Durant le 1er confinement, le lieu, qui propose aussi de l’épicerie, a pu rester ouvert : Calibou s'est associé à des producteurs locaux pour un « clic et rapplique » mutualisé qui perdure aujourd'hui, géré par les boulangers. Boulangers qui assurent eux aussi le lien entre ville et campagne : leur pain est vendu à Lille et Dunkerque.
« On est arrivés ici pour la qualité de vie et aussi pour faire ce qui nous plaisait. Si ça peut donner envie à d’autres de se lancer dans des projets alternatifs, tant mieux ! », se réjouit Gérard.
Page Facebook de CaLiBou and Co
Dominique Dupont

A lire : article sur Reporterre

* Pains dépaysants et Du pain Décroissant


 

Gesnord au bout du fil ? Les médecins s’enracinent


Cela faisait plus d’un an que les élus de la commune de Rivière, au sud d’Arras, cherchaient un médecin suite au départ en retraite du précédent. Grâce à l’aide de Gesnord, plateforme téléphonique basée à Courrières, et de Remplanor, association de médecins remplaçants, ils ont trouvé la perle rare : Morgane Hennart, originaire de Lens, y a installé son cabinet.
Mais que vient faire une plateforme téléphonique dans cette histoire, me direz-vous ?
« Au départ, confrontés aux délocalisations des centres d’appels, nous avons cherché à marquer notre différence, explique Mohamed El Manani, co-fondateur de l’entreprise qui gère les agendas de professionnels de santé. Or, nos assistantes, formées à détecter les signaux faibles chez les patients, repèrent aussi les signes de suractivité des médecins. Nous avons donc proposé des solutions, notamment en adaptant leur agenda. » Ce faisant, Gesnord a changé de posture, passant de simple prestataire à partenaire. Et elle a continué à tirer ce fil. Confrontée au départ en retraite de médecins en zones rurales, elle a facilité l’installation de nouveaux médecins en accompagnant des remplaçants qui testaient ainsi une implantation ultérieure.
« Nous tenons compte du besoin d’un équilibre vie pro/vie perso, plus présent chez les jeunes médecins. La confiance s’instaure. »
L’action de Gesnord évite d’engorger les urgences en améliorant l’accès aux soins et permet aux médecins de gagner en qualité de vie. Elle donne aussi davantage de sens au travail à la trentaine de collaboratrices de l’entreprise qui s’y sentent bien et y restent.
gesnord.fr


 

Le Dr Hennart a installé son cabinet à Rivière - crédits Fabien Bidaud
Les salariées de Gesnord sont formées à repérer les "signaux faibles".

La coopération à fond de train !

Un train qui passe, ce n’est pas que de la distraction en plus pour les vaches. Ce constat, les fondateurs, salariés et sociétaires de Railcoop le font depuis leur lancement fin 2019. Cette SCIC se donne pour objectif, d’ici 2022, de relancer la liaison ferroviaire directe entre Lyon et Bordeaux. A cheval sur deux régions (Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle Aquitaine), cette ligne desservira plusieurs villes moyennes. Parmi-celles-ci, Gannat (5 824 habitants), dans l’Allier, a été la première collectivité à entrer dans le sociétariat de Railcoop.
« On ne se doutait pas qu’il y aurait autant d’impact », nous dit Anne-Sophie Lahaye, chargée de communication de la coopérative. Bien sûr, le projet s’est monté avec l’intuition qu’il allait permettre de remailler les territoires. Mais suite aux travaux menés avec les collectivités inscrites au sociétariat*, nous avons réalisé que, partant d’un service de train, nous déclenchons plein d’autres réflexions : les services à proposer en gare, le développement d’activités en local, le lien avec les entreprises**.. ».
Ces pistes sont creusées par les 8 cercles de réflexions qui animent et alimentent le projet de Railcoop. Ceux-ci sont particulièrement investis par les particuliers et futurs usagers qui représentent « 90 % des sociétaires actuels », précise Mme Lahaye. L’étude de marché menée par la coopérative estime d’ailleurs que sur les 690 000 potentiels usagers, la moitié utilisera une portion de ligne, renforçant ainsi le lien humain et économique entre ces deux métropoles de destination et les territoires moins denses qu’elle traverse.
Guillaume Delevaque
railcoop.fr

* 8 à ce jour, de la commune au Département
** Railcoop proposera également un service de fret

railcoop
Du côté des adhérents

Terre de Liens fait pousser des fermes

Faciliter l'accès de producteurs bio et/ou paysans à la terre, par l'achat de foncier agricole pour le leur mettre à disposition, tel est le but de ce mouvement citoyen d’envergure nationale. Pour cela, Terre de Liens s’appuie sur un réseau associatif qui se décline en région (dont les Hauts-de-France) et sur deux outils de la finance solidaire, la Foncière et la Fondation.
En favorisant la protection des terres agricoles et la production d’une alimentation de qualité, Terre de Liens marque la rencontre entre ruraux et urbains, facilite le développement d’un sentiment de responsabilité et de dépendance réciproque.
« Notre adhésion à l’Apes semble naturelle, explique Jacques Flandrin, administrateur de l’association. Terre de Liens agit en mobilisant des citoyens, ce qui la situe dans le champ de l’ESS. Et en luttant contre la spéculation foncière, elle propose une autre manière de gérer la terre, comme un bien commun. »
Anne-Marie Flandrin et Laureline Vallat
terredeliens.org/hauts-de-france


A tester : parcel-app.org - outil web simple, ludique et gratuit, permettant d’évaluer pour un territoire donné les surfaces agricoles nécessaires pour se nourrir localement, ainsi que les emplois agricoles et les impacts écologiques associés.


 

Journée des bénévoles - crédits Terre de Liens